La réflexion et le geste devront s’incarner dans le numérique pour aller au-delà de l’enfermement technologique. Le design for life et les designers nous invitent à considérer le système et la complexité pour relire nos habitudes à l’aune d’un nouveau contrat social engageant les questions décisives dont dépend la qualité de nos existences. Anne Asensio, Vice Presidente Design Experience chez Dassault Systèmes, nous explique ce concept.
La sophistication et la complexité du monde se déclinent à travers tout ce qui fait nos vies : objets, véhicules, habitat, ville, territoire. Elles appellent à de nouvelles solutions, mais aussi à de nouveaux modes d’engagement. Parce que les industriels ne peuvent plus résoudre à eux seuls les problématiques mêlant production et durabilité, parce que les citoyens veulent s’impliquer davantage, les moyens doivent évoluer vers plus de compréhension et d’inclusion. Le numérique, au cœur des dispositifs d’innovation depuis plusieurs décennies, inscrit Dassault Systèmes comme catalyseur et incitateur de la transformation de nos modes de vies.
La métamorphose du design
À l’ère hypertechnologique, quel peut être le rôle du design ?Fonction de création au sein de l’industrie, le design a progressivement évolué des problématiques de conception et de mise en forme des produits, de leur emballage, de leurs interfaces et même de leur signe identitaire, la marque, pour enrichir par sa pensée et ses méthodes la stratégie des entreprises, des institutions, des diverses organisations collectives et des initiatives qualitatives au cœur des territoires.
Lorsque chaque forme devient “interface”, lorsque chaque produit se révèle être le produit de l’expérience, les designers convoquent leurs gestes et régénèrent leurs savoir-faire. Renouvelant leur action de médiation et d’expérimentation pour de nouvelles réponses durables. La génération des connaissances qui en découle est de plus en plus partagée, plurielle et profitable. Le design accompagne cette considération à l’ouverture, à la multiplicité et la mutualisation, et avec celle plus large des rapports à la technique, à l’industrie, à l’économie.
Ainsi les designers déploient de nouvelles propositions, imaginent de nouvelles narrations et designent de nouvelles modalités d’interactions entre artefacts et personnes. Face aux enjeux industriels, sociaux et écologiques, ils se saisissent du numérique modifiant les régimes d’innovation du passé.
Embrasser la complexité
Passer du design d’objet, de véhicule ou d’architecture au design d’expérience demande de changer de point de vue. De convoquer non plus les “utilisateurs” mais les personnes. Ceci implique non seulement de modifier les processus de réflexion vers du non linéaire en rebouclant les cycles de vie de manière circulaire. Le produit, qui ne se suffisait déjà plus, malgré l’adjonction de son interaction, son interface, son emballage-déballage, son point de vente, sa maintenance, son recyclage... se trouve maintenant externalisé, “excentré” et investi d’une dimension qui dépasse le serviciel et l’utile, une proposition résiliente, ou mieux “régénérative”.
Enrichi de la dimension de l’expérience, de l’émotionnel, de la question du sens et des imaginaires le design s’épanouit enfin. Répondre à la complexité du monde, c’est quitter le physique, la vue statique et ponctuelle du réel pour s’engager dans le système, la dynamique mouvante du réel. Le contexte de l’expérience est multiple et diffus, les échanges se réticulent et la pensée systémique devient prépondérante.C’est par le design, au cœur de la complexité que la médiation s’établit, en préservant le caractère humain et incarné de toute relation.
Face à la certitude des méthodes scientifiques, il fait face à l’incertitude radicale de certaines problématiques. Aussi, le design for life devient cette conscience partagée de vouloir faire à plusieurs, dans une confiance singulière à croire à l’inventivité humaine avant tout, même dans les cas les plus imprécis ou les plus insolvables. Que ce soit pour résoudre, collaborer, projeter, comprendre ou même juste échanger, le champ du dialogue entre réflexions et technologies se doit de se synchroniser avec l’ambiguïté de modèles à venir pour faire de l’intelligence collective une réalité à même de créer et de concevoir des conditions de vie souhaitables.
Les nouvelles façons de faire
De même que pour le meilleur artisan l’outil est une prolongation du corps, pour le designer, l’outil ultime, le numérique, doit devenir cette même extension tacite “d’appareillage”. Dépassant le rapport purement instrumental, le design considère le numérique comme culture, propice à l’exploration, une matière “modifiable”... Cette extension du numérique inspiré de la gestuelle du “faire” du designer peut engager et concentrer les énergies de chacun en une concrétisation nouvelle et respectueuse. Son pendant réflexif doit permettre d’embarquer – incitateur – et de canaliser – catalyseur – la richesse plurielle de l’ensemble des parties prenantes d’une problématique. L’ouverture d’un nouvel espace générique porte un nouveau contrat social : la responsabilité et l’éthique par la collaboration au bénéfice de tous. Il réconcilie sciences humaines et sciences dures. Il installe le design en médiateur respectueux et bienveillant, garant de l’avancée des créations des femmes et des hommes en même temps que les conditions de nos existences.
ANNE ASENSIO
Vice-présidente Design Experience à Dassault Systèmes et designer. Elle a occupé plusieurs postes à haute responsabilité, en charge du design management et des stratégie d’innovation, chez Renault et General Motors. Elle a créé le Design Studio, rassemblant une équipe multidisciplinaire en stratégie d’innovation par le design (Design Experience), recherche en design, design management et conseil.